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Viviane Serfaty,
L'Internet, l'imaginaire, le politique : perspective comparatiste sur quelques aspects du réseau
en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, Thèse de Doctorat, Université de
Paris 7, 1999.
RÉSUMÉ
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Cette étude s'ordonne autour de deux axes : celui des représentations de l'Internet et celui des pratiques sociales et politiques élaborées par les utilisateurs du réseau en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
La première partie est consacrée à l'histoire du réseau, à sa forme actuelle et à la description de ses caractéristiques spécifiques. Dans la seconde partie, l'étude des représentations permet d'identifier les structures profondes de l'imaginaire qui sous-tend l'Internet : l'utopie et l'anti-utopie sont les deux notions antinomiques au travers desquelles l'Internet est perçu. Les représentations utopiques concourent, grâce à l'élaboration d'un mythe des origines, à faire de l'Internet le lieu d'un renouveau par le biais de la notion de retournement ; dans ces représentations, l'Amérique joue un rôle privilégié. Les représentations anti-utopiques de l'espace se concentrent d'une part sur des craintes de perte d'intimité, d'un affaiblissement des barrières de classe ainsi que d'une prolifération de la présence d'autrui. D'autre part, la notion même d'espace virtuel conduit à une crainte de prolifération des espaces qui favorise l'incertitude et fait de l'Internet le concurrent du monde réel. Les représentations anti-utopiques du corps tel que l'Internet le médiatise font principalement intervenir la notion de dématérialisation du corps, qui aboutirait à sa transformation en pur signifiant. La comparaison avec la dématérialisation de la monnaie fait émerger la notion d'inflation du symbolique qui, pour le corps comme pour l'espace, introduit une dimension d'indétermination propice à toutes sortes d'anxiétés de dissolution et de perte.
L'étude des discours sur l'Internet fait également apparaître un certain nombre de stéréotypes qui se retrouvent sous des formes quasiment identiques depuis l'invention des premiers outils de communication modernes. Leur remarquable ténacité semble prouver qu'ils remplissent une fonction essentielle dans l'acculturation et la diffusion des innovations. Par ailleurs, ces représentations stéréotypées sont traversées par l'ambivalence puisqu'elles émergent régulièrement sous forme de couples positifs/négatifs. L'exploration de l'histoire des idées permet de retrouver les origines de cette ambivalence qui colore à la fois les représentations de la communication et celles de la technologie. Mais ces deux représentations contradictoires ne peuvent ni s'annuler ni prendre le dessus l'une sur l'autre : l'une à l'autre nécessaires, elles se maintiennent dans un état de tension qui offre un espace discursif à la critique sociale de la technologie comme de la communication. L'imaginaire de l'Internet est donc le résultat de processus dotés d'une longue histoire ; il est commun aux trois pays que nous étudions et il modèle les pratiques réelles des usagers du réseau.
La troisième partie de ce travail s'attache à étudier les forums de discussion politique en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis pour y discerner les traces de l'imaginaire de l'Internet et notamment de l'idéologie de la communication dans sa dimension d'être-ensemble. La première approche est formelle et permet de dessiner les grands traits de l'écriture de l'oralité qui, sur les forums, se constitue en genre à part entière. Puis les fonctions sociales des groupes de discussion sont analysées et permettent de dégager cinq grandes lignes de force :
- les groupes ne fonctionnent pas dans un vide social mais produisent leurs propres normes de fonctionnement ;
- ces normes de fonctionnement sont complémentaires de règles de civilité mises en oeuvre à l'aide de stratégies langagières précises, où l'ironie joue un rôle plus marqué que l'attaque ;
- la maîtrise des stratégies langagières et notamment la maîtrise de l'écriture de l'oralité est déterminante dans la productivité des messages comme dans la construction d'une position dominante ;
- les identités des participants sont élaborées par le biais de divers marqueurs textuels qui assurent à chacun une certaine visibilité et qui exigent des participants une certaine stabilité ;
- enfin, l'adhésion de tous aux normes de fonctionnement comme aux normes de civilité est ce qui permet paradoxalement la création de groupes minoritaires et de groupes majoritaires.
Les forums nourrissent leur cohésion de la mise en valeur de la conflictualité qui semble être un important facteur de productivité pour les messages et de longévité pour le groupe. Enfin les groupes de discussion ne peuvent être assimilés à des communautés définies en tant que réseau d'entr'aide ou groupe identitaire, mais à des groupes informels engagés dans un processus constant de formation et de reformation des relations entre participants. Toutes ces caractéristiques sont communes aux forums français, britanniques et américains.
L'analyse thématique des discussions met au contraire en évidence une forte différenciation : seuls les sujets politiques propres à chaque pays suscitent un écho dans chacun des groupes étudiés. En 1996, ces sujets sont en nombre restreint et ne présentent qu'un faible degré d'adéquation avec l'agenda politique, tandis que les débats consacrés à une réflexion sur le réseau lui-même ou les appels à l'action politique liés à des problèmes précis sont prépondérants.
L'étude de l'évolution des groupes de 1996 à 1999 prouve cependant que l'agenda politique occupe une place sensiblement plus importante à l'heure actuelle et que les débats dans les forums ont une certaine influence sur l'agenda politique lui-même. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, l'Etat et les partis politiques s'inscrivent dans l'imaginaire de l'Internet en tant que vecteur de démocratie directe et se servent des forums pour tenter d'entrer en communication avec les participants aux débats. Cette dimension reste peu représentée en France.
Enfin, les membres des groupes de discussion sont dans leur grande majorité présents du début à la fin de la période que nous étudions, notamment en France et en Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis. Cette fidélisation indique que les forums fournissent le lieu d'une nouvelle sociabilité et d'une extension de l'espace public traditionnel. L'Internet, en tant que construction symbolique, est producteur de sens et porteur de pratiques de sociabilité innovantes.
English Summary
Viviane Serfaty, The Internet, the Imaginary, Politics : A Comparative Perspective on Some Aspects of the Network
in France, Great-Britain, the USA, Ph.D dissertation, Université Paris 7-Denis Diderot, 1999.
This research focuses on the representations of the Internet and on the social and political uses developed by
network users in France, Great-Britain and in the USA.
The analysis of representations indicates that the underlying structures of the imaginary of the Internet are utopia
and dystopia. Utopian representations turn the Internet into a space for individual and social rehabilitation.
Dystopian representations focus on fears of proliferating spaces and bodies as well as on fears of their
dematerialisation. These representations are linked to a body of ambivalent stereotypes which have been around
since the advent of the first modern communication tools and whose function is crucial to the acculturation and
the diffusion of innovations : they provide room for the social critique of technology and of communication.
The political debates in Usenet newsgroups are permeated with such representations. After describing the major
features of the discourse which is developing into a fully-fledged genre in all newsgroups, we identify the social
functions of forums through the production and the enforcement of rules by way of specific linguistic strategies.
Newsgroups maintain their cohesiveness through the ritualised expression of social conflict. The three countries
we studied share these features. The thematic analysis of the debates reveals, however, a sharp differentiation ;
in each country, only local politics elicits any kind of response. From 1996 to 1999, the observation of debates
shows the increasing part played by the political agenda of each country. Official and political party
communication in newsgroups is on the rise in the United States and in Great-Britain, but much less so in
France ; some degree of feedback between debates in newsgroups and traditional political debate can be
observed, indicating the growing part played by the Internet in public life.
Newsgroups elicit the continuing loyalty of members by providing them with space for a new kind of sociability
and with an extension of traditional public space. As a symbolic construct, the Internet produces meaning and
fosters innovative forms of sociability.
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